Interview avec Artur Wabik, artiste polonais, commissaire d'exposition, critique d'art et éditeur, spécialiste de différents domaines de la culture populaire.
Salut Artur, parles-nous un peu de toi, qui es-tu ?
Je suis artiste d’arts visuels, commissaire d’exposition et publiciste. J'ai commencé ma carrière artistique au milieu des années 90 en peignant des graffitis sur les murs. Plus tard, je me suis occupé professionnellement de la bande dessinée en tant qu'éditeur, critique et scénariste. En 2010, j'ai commencé à créer des peintures murales et des installations dans l'espace public.
Quel a été ton parcours dans le domaine du street art ?
Je pense que lorsque le street art a commencé à se populariser en Pologne, il y a une dizaine d'années, j'étais au bon endroit, et au bon moment. J’étais dans le milieu depuis longtemps, et je suis devenu naturellement commissaire d'exposition, juré de concours, auteur d'articles de journaux et de livres sur l'art de la rue.
La presse et les institutions publiques recherchaient fiévreusement une autorité dans ce domaine, et j'étais déjà connu dans la communauté. Petit à petit, le marché des peintures murales commerciales a commencé à se former avec des peintures informatives, commémoratives ou simplement publicitaires. J'ai rejoint pendant un certain temps la société Good Looking Studio de Varsovie, leader dans l'industrie des peintures murales publicitaires en Pologne. Plus tard, j'ai transmis mes compétences aux étudiants de l'Académie des Beaux-arts de Cracovie. J'ai également commencé à écrire de manière critique sur le street art. Tout cela a contribué à ma position actuelle dans cette industrie.
En me préparant pour te rencontrer, j’ai cherché une définition simple du street art, et à ma grande surprise, je n’en n’ai pas trouvé une seule ! Dis-nous donc ce qu’est le street art selon toi ?
Le street art est une tendance des arts visuels qui couvre tous les domaines artistiques dans l'espace public tels que les inscriptions, les symboles, les illustrations, les compositions abstraites (faites à la main ou à partir d'un modèle, avec un pinceau, un rouleau, ou encore en utilisant des peintures en émulsion, ainsi que des peintures en aérosol), les autocollants, les affiches, les mosaïques ou encore les objets en céramique individuels fixés au mur ou au sol, etc.
Dans le street art, il existe aussi d'autres domaines comme les peintures murales ou les graffitis, et les phénomènes sont souvent confondus. L'essence de la relation entre le graffiti et le street art a été bien captée par Karolina Majewska dans son article paru dans le magazine Arteon : "Alors que le graffiti est une communication visuelle et typographique entre un groupe initié de graffeurs, le street art fait appel au groupe le plus large possible de spectateurs potentiels. C'est avant tout cette ambition d'égalitarisme qui distingue le street art du graffiti. (...) Le street art ne se limite pas à la typographie - il utilise tous les moyens visuels possibles, y compris le graffiti. "
Peut-on dater l’apparition du street art en Pologne ? Quand le street art est-il arrivé en Pologne ?
Le concept de street art, en relation avec les arts visuels dans l'espace public, a vu le jour vers 2000 avec la diffusion d'Internet. A la fois en Pologne et dans le monde. Les premières expériences avec les soi-disant "logos de rue" (« street logos ») datent en Pologne des années 2001-2003.
Actuellement, nous avons un art de rue en Pologne très similaire à ce qui se passe dans les pays voisins en Europe, par exemple en République Tchèque ou en Allemagne. J'ai l'impression en outre que ces dernières années ont amené un certain affaiblissement de l’intérêt pour cette discipline.
Street art ou vandalisme - qui décide de quoi il s'agit ?
Personne. Vous ne pouvez pas distinguer objectivement ces deux concepts. La catégorie « esthétique » n'est pas fiable ici car elle est basée sur les goûts individuels. Il convient de noter que des émotions plutôt positives prévalent dans les oeuvres de street art. C'est différent avec le graffiti, qui est presque toujours perçu comme du vandalisme.
Le graffiti ne nous renseigne sur rien (à part un simple message: "je suis ici"), il ne fait de publicité (sauf des auteurs sur eux-mêmes), il ne décore pas l'espace (au sens où il ne correspond généralement pas au canon esthétique généralement accepté). En revanche, le street art est généralement considéré comme un phénomène ayant un impact positif sur l'espace public car il est souvent illustratif (figuratif) et narratif.
Street art et politique - y a-t-il une dépendance ou une sorte de réflexion venant de la rue sur ce qui se passe dans le monde politique ?
Les inscriptions politiques ont une longue tradition en Pologne (conventionnellement depuis 1940), et il est donc encore plus surprenant de constater leur disparition presque complète après 1989. Le retour à cette forme d'expression des opinions politiques n'est apparu qu'au cours de la dernière décennie. Je pense que les artistes du street art réalisent mal le potentiel subversif du street art. Les exceptions incluent des artistes tels que Mariusz M-City Waras et sa série de peintures murales politiques à Gdansk. Dariusz Paczkowski est lui aussi un artiste fortement engagé, dont le travail touche toujours aux questions politiques et sociales. Il convient également de prêter attention à l’artiste Simpson. Pour plus d'informations sur ce sujet, je t’invite à lire mon article en anglais intitulé “Top Ten Protest Street Art”.
Tu parles de Mariusz M-City Waras, Dariusz Paczkowski… Quels sont selon toi les artistes les plus célèbres du street art en Pologne ?
L’artiste de street art polonais le plus connu dans le monde est sans aucun doute Mariusz M-City Waras. Vient ensuite Slawek ZBK Czajkowski, également actif en tant que commissaire d'exposition. Pour moi, ce sont des personnes clés du street art polonais. Ensuite, il n’y a plus grand monde pendant longtemps et enfin ce que j’appelle le peloton avec Etam Crew, Otecki, Sepe, Chazme, Nawer, Nespoon, Pener, Swanski, etc.
Laurent Jacquet a écrit un article sur les 25 artistes polonais du moment à connaître absolument. Jettes-y un coup d’oeil, le contenu est vraiment intéressant !
Ok, merci, je n’y manquerai pas. Parlons maintenant un peu plus de ta spécialisation des dernières années, les peintures murales. Est-ce selon toi un courant du street art?
Il y a quelques controverses à ce sujet. Certains chercheurs disent oui. Il convient toutefois de rappeler que les peintures murales existaient (et étaient appelées ainsi) bien avant que le concept de "street art" ne soit constitué dans son sens moderne. Certains chercheurs pensent que les peintures murales ne peuvent pas être qualifiées de street art en raison de leur nature institutionnelle. Ils soulignent également la surproduction de peintures murales. Avec la popularité du street art, la demande pour les peintures murales augmente. Les conseils municipaux, les universités, les musées, les instituts, les fondations et les associations, ainsi que les particuliers et les entités commerciales - tout le monde peut voir dans les peintures murales une forme de promotion relativement bon marché et efficace. Malheureusement, très souvent, la nécessité de se conformer aux contraintes de promotion, d'information ou de commémoration affecte négativement la qualité des peintures elles-mêmes.
Quelles sont selon toi les villes en Pologne à visiter pour les amateurs de fresques murales ?
Pour ce qui est du street art, la question est un peu problématique, car en Pologne il n’y a pas de ville ou de quartier réputé pour sa richesse en petites formes d'art de rue, comme Kreuzberg à Berlin, Christiania à Copenhague ou El Raval à Barcelone. Par contre, pour ce qui est des peintures murales, il faut absolument faire un tour à Łódź, Katowice, à la Triville, et aussi à Varsovie, Wrocław et Cracovie…
Propos recueillis le 22.06.2020 par Marynia Jacher, chef de projet Meetings & Events à l’agence Destination Pologne.
Crédits photos :
#1 : Artur Wabik, © Michał Korta
#2 : Grupa Design Futura [Łódź] 2001, © Julien Hallier
#3 : Dagmara Matuszak, Artur Wabik [Cracovie] 2018, © Julien Hallier
#4 : Eduardo Kobra [Łódź] 2014, © Julien Hallier
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