Interview avec Agnieszka Sendor, co-fondatrice de la marque Pstrąg Ojcowski (« Truite d'Ojców »).
Nous discutons avec Agnieszka Sendor, la co-fondatrice de la marque Pstrąg Ojcowski (Truite d'Ojców).
La tradition d'élevage de la truite brune à Ojców remonte aux années 30. La ferme à truites a été créée en 1935 sur les terres de la princesse Ludwika Czartoryska et a été l'une des premières du genre dans la région. En 2013, Magda Węgiel et sa fille Agnieszka Sendor ont loué les étangs inutilisés et destinés à la naturalisation. Leur travail acharné et leur engagement total ont non seulement restauré avec succès la splendeur de l'élevage de la truite brune, mais ont également créé un endroit fantastique, destiné au repos, à la détente et aux expériences culinaires, et le tout dans un cadre naturel magnifique.
Agnieszka Sendor : Heureusement, nous fonctionnons plutôt bien. La pandémie ne nous a pas vraiment directement touchée jusqu’à présent. Nous étions ouverts pendant la saison estivale et c'est le plus important pour nous. Désormais, il n'y a plus personne à Ojców, hormis les 70 habitants et plusieurs milliers de truites ! Aujourd'hui, nous sommes très concentrées sur Noël qui arrive à grand pas, nous avons donc beaucoup de préparatifs et de commandes en lien avec les fêtes. Après, même si la crise économique liée au COVID-19 ne nous a pas impactés directement, elle a touchée beaucoup de nos amis et clients. Nous voyons bien que les industries de l'événementiel, de la restauration et du tourisme traversent une période extrêmement difficile. À cet égard, une grande partie de nos clients ont souffert. Nous attendons avec impatience des jours meilleurs pour eux, car sans eux, nous risquons nous aussi de traverser une période difficile.
Et qu’on en finisse rapidement !
Honnêtement, nous sommes toujours très étonnées avec ma mère. Nous avons l’impression que cette aventure se passe quelque part en dehors de nous. C'est incroyable toutes ces récompenses que nous avons obtenues, tous ces concours que nous avons gagnés… Nous nous sommes jamais personnellement inscrites à un concours, c’était toujours l’initiative de personnes tierces. Mais bien sûr, nous en sommes ravies ! Mais la truite et son élevage nous absorbe tellement que nous ne pensons pas aux concours ou encore moins aux bénéfices financiers. Jusqu'à présent, nous ne considérons pas nos réalisations dans la catégorie du succès. Nous faisons ce que nous aimons, nous avons la chance de travailler dans un bel environnement au contact de la nature, de rencontrer beaucoup de gens fantastiques, de nous engager dans des activités sociales et des projets éducatifs, ou encore de sensibiliser les consommateurs sur le domaine de l'élevage éthique, de promouvoir l'idée de slow food et de manière générale notre région. Cela nous donne beaucoup de satisfaction et un sentiment d'épanouissement - peut-être que c'est ça la recette de notre succès ?
L’élevage de truites a été créée dans le Parc en 1935 exactement. Les terres appartenaient à la princesse Ludwika Czartoryska. Après la guerre, elles sont passées dans les mains des associations de pêcheurs, puis elles sont finalement devenues partie intégrante du Parc. En 2013, en raison entre autres d’une maladie des poissons, les autorités ont décidé d’enfouir les étangs. Ma mère et moi avons décidé de... les sauver ! Pour cela, il a fallu remplir un grand nombre d'exigences, car l’élevage se trouve dans l'espace protégé du Parc National d'Ojców. Il a fallu se plier à un grand nombre de normes, ne pas dépasser une certaine quantité de production et rester le plus bio possible. C’était long et laborieux… surtout que nous nous y connaissions pas du tout à la base! Au départ, je savais juste qu’un poisson possèdait une queue et une tête !
La décision de reprendre les étangs était une décision conjointe. Au départ, j'avais deux emplois, je jonglais entre mes projets informatiques et l’élevage. Très rapidement, j'ai tout simplement manqué de temps et j'ai dû choisir. L'aventure avec les truites se développait de manière assez dynamique. Je ne te cache pas que ça a été une période difficile par moments. Et tu sais, il y a toujours des jours où ce n’est vraiment pas facile. Mais je ne me plains jamais. Quand j'ai commencé à travailler avec la truite, je n'avais aucune idée de ce que je faisais vraiment. Maintenant, en analysant ma situation de façon rétrospective, je ne pourrais pas imaginer faire autre chose. J'adore mon travail, et surtout, le fait qu’il soit multidimensionnel.
Ma mère et moi sommes tombées sur une période très propice en Pologne pour le développement de ce type de projet. C’était la période où le slow food devenait doucement à la mode. Les années 2010 sont aussi le moment où les produits régionaux font leur réapparition, et sont de plus en plus recherchés et appréciés. Je pense aussi que nos caractères ont joué un grand rôle dans la réussite du projet. Nous nous sommes concentrées dès le départ sur le poisson. Il est primordial pour nous que nos truites soient en bonne santé, qu’elles vivent dans de bonnes conditions. Ensuite, nous voulons que nos clients se sentent bien, qu’ils apprécient d’être chez nous. Tout cela pour nous est synonyme de réussite sociale. Nous accordons plus d’attention au processus lui-même qu'aux gains financiers possibles. Nous n'agrandissons pas l'élevage, mais nous essayons de garder les meilleurs conditions possibles pour les poissons et nos clients. Je pense que c'est ce qui nous différencie.
La truite d'Ojców est avant tout un produit local de la région Małopolska. Lors de l'élevage puis du fumage de nos truites, nous agissons de façon instinctive - en accord avec la nature, et selon nos principes, qui s'inscrivent dans le mouvement slow food. D'un autre côté, les gens comprennent parfois mal le terme slow. Slow ne veut pas dire que le travail est facile et léger. Nous travaillons tous les jours du matin au soir, sept jours sur sept. L'élevage de la truite brune demande beaucoup de travail, d'autant plus que les poissons ne diront pas d'eux-mêmes si quelque chose ne va pas. Il faut être vigilant et prudent tout le temps.
Oui ! Il y a une nette différence. Ces changements sont lents… mais se produisent heureusement. Les gens commencent à se demander d'où viennent les produits servis dans leurs assiettes. Dans les années 90, il y avait un boom pour les produits étrangers, tout ce qui venait d’ailleurs était meilleur que ce qui se trouvait chez nous. A cause de ces préjugés, la Pologne a failli perdre quelques bonnes recettes de produits locaux. Les choses sont différentes aujourd'hui. Vous pouvez voir que beaucoup recherchent les produits locaux, traditionnels, ce qui est produit en harmonie avec l'environnement. D'un autre côté, je vois aussi apparaître des voix extrêmes. Nous, les éleveurs bio, sommes critiqués pour ne pas être encore plus slow que slow. La vérité est qu’il y aura toujours quelqu’un pour vous dire que vous faites pas assez bien les choses. Nous restons positives et misons sur le maintien d’un équilibre sain entre les besoins du poisson, les besoins du client, et les besoins du Parc National d'Ojców.
Nous ne mangeons pas les truites avec ma mère à cause de l'éthique et de notre attachement à nos poissons. On aurait beaucoup de mal à le faire. Tu comprends ?
C’est un peu le cas ! Je sais que cela peut paraître étrange. Pour nous, ces poissons sont comme des animaux de compagnie, nous passons beaucoup de temps avec eux, nous les voyons grandir. Nous sommes aussi souvent inquiètes... Cela créer des liens forts.
Nous avons un cycle fermé de production. Le cycle entier dure environ 3 ans. Nous obtenons des œufs des géniteurs reproducteurs, que nous apportons ensuite au couvoir. Après la période d'éclosion, nous relâchons les truitons dans l'étang. Au bout d'un an, les truitons pèsent seulement 2 décagrammes ! Cela montre à quel point le processus est lent. Après environ 3 ans, les truites pèsent environ 300 grammes, ce qui signifie qu'elles obtiennent ce que nous appelons ici « le poids pour l’assiette », et sont finalement prêtes à la consommation. Nos visiteurs sont souvent très surpris par la lenteur du processus ! À Ojców, nous avons un permis pour élever 12 tonnes de poisson par an, ce qui est relativement peu. A titre de comparaison, les productions de masse en font autant en un mois, et certains même en produisent autant... en une semaine!
La journée commence très tôt, vers 6 heures du matin, il faut alors être sur place pour faire le premier repérage. En automne, il est impératif de venir encore plus tôt pour retirer les feuilles tombées dans les étangs. L'étape suivante consiste à vérifier l'alimentation en eau de nos 7 étangs. Pour cela, il faut se rendre vers le haut de la rivière à environ 1,5 km et vérifier qu'il n'y a pas de branches cassées dans l’eau ou d'arbres tombés. Ensuite, on passe à l’alimentation des poissons. En été, en haute saison, lorsque nous avons le restaurant ouvert, il faut mettre en marche le fumoir pour fumer les truites vers 8 heures du matin. Ensuite, il faut vérifiez plusieurs fois tout au long de la journée la température de l’eau et sa teneur en oxygène. Et bien sûr, tout cela varie en fonction de la météo et de la saison. Nous terminons généralement une journée normale vers 20 heures.
Le Parc national d'Ojców est magnifique. Je le remarque surtout le matin ou le soir quand le lieu est vide. En haute saison, pendant la journée, c'est plus un lieu de travail pour moi qu’autre chose. Ma mère, qui vit très près du Parc, s’y promène souvent et apprécie ses charmes. De mon côté, je vis à Cracovie et j'ai beaucoup de travail lié au back office, au contact avec les clients, aux réseaux sociaux, aux relations presse et aux contacts avec les restaurateurs. Je passe beaucoup de temps devant l'ordinateur et j'ai moins l'occasion d'admirer la beauté du Parc. Cependant, j'ai un grand penchant pour lui. Et puis, j’ai toujours des personnes qui me rendent visite pour me rappeler la beauté de ce lieu.
Il y a quelques années, nous avons reçu la visite d'un groupe d'étudiants français très intéressant avec un profil de pêche. C'est Julien qui en a eu l'idée, donc merci à votre agence Destination Pologne. La rencontre fut passionnante, et ce pour les deux parties. Pour nous, parce que nous aimons accueillir et parler de notre passion et pour eux aussi, car ils n'ont jamais eu affaire selon eux à une forme d'élevage aussi naturelle. C’était une première pour eux, alors ils étaient véritablement intéressés par tout le processus et nous étions ravies de pouvoir tout leur expliquer. En saison, notre lieu est très souvent visité par des touristes individuels français, en visite à Cracovie. Ce n'est vraiment pas loin et ça vaut vraiment le coup de venir ici. Nous aimons beaucoup les Français parce que ce sont de bons vivants : ils aiment célébrer la nourriture, et ils aiment beaucoup en parler. Ma mère et moi aimons cette formule simple et hospitalière. Nous parlons souvent à nos clients de la truite, du Parc, de notre aventure. Nous échangeons avec nos visiteurs avec joie et partageons notre temps. Et cette approche est très appréciée par les Français. Les Français sont généralement ravis de tout… enfin de presque tout. Les ensilages, appelés chez nous « kiszonki », ne leur conviennent pas totalement (rires).
Notre bail se termine bientôt... Mais ce n'est certainement pas la fin de cette aventure. Nous regardons vers l'avenir, nous voulons prolonger le bail de ces étangs et continuer de faire le mieux possible ce que nous faisons.
Propos recueillis le 02.12.2020 par Marynia Jacher, chef de projet Meetings & Events à l’agence Destination Pologne.
Crédits photos : Pstrąg Ojcowski, Piotr Gesicki, Albertina Restaurant & Wine, Molám Thai Canteen & Bar, Halicka Eatery&Bar, Bottiglieria 1881, Julien Hallier, Destination Pologne
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