2021 : Année Stanisław Lem en Pologne

Ayant une formation de médecin et de théoricien scientifique, Lem possède une connaissance approfondie non seulement de la théorie de l'évolution, des mathématiques, de la robotique, de l'astronomie et de la physique, mais aussi de la littérature et de nombreux autres domaines. Il devient alors un chercheur de sagesse universelle, un philosophe et, au début, un partisan des développements de la science et de la technologie. L’écrivain choisit la science-fiction comme genre narratif à la fin des années 1940, l'oppression politique du stalinisme empêchant la libre expression dans les romans contemporains.

Stanisław Lem détient plusieurs doctorats honorifiques obtenus, entre autres, à l'Université de technologie de Wrocław, à l'Université Jagellonne de Cracovie, à l'Université de Lviv et à l'Université de Bielefeld.

L’écrivain a l’honneur d’avoir une astéroïde qui porte son nom : l’astéroïde 3836 Lem.

Dans les années 1983-1988, Lem vit en exil (à Berlin puis à Vienne), puis s'installe définitivement à Cracovie. Il y décède le 27 mars 2006. L'urne avec ses cendres est placée dans le cimetière du quartier de Salwator.

La carrière littéraire de Stanisław Lem commence par une coopération avec des magazines tels que “Kuźnica”, “Tygodnik Powszechny”, ou encore “Nowy Świat Przygód”. Initialement, il y publie des poèmes et des histoires sur l'occupation.

Ses principales oeuvres :

 
Sa première oeuvre de science-fiction, “Człowiek z Marsa” (“L'homme de Mars”) est publiée dès 1946 en feuilleton dans l’hebdomadaire de Katowice “Nowy Świat Przygód”. L’histoire retrace les péripéties de scientifiques américains qui tentent de communiquer avec une créature dans un vaisseau spatial écrasé depuis Mars. Certains fanclubs polonais de science-fiction ont produit de petites éditions de réimpressions piratées. La première réimpression légale polonaise sous forme de livre, a été publiée en 1994.

Son roman “Szpital Przemienienia” (“L'Hôpital de la Transfiguration”), achevé en 1948, n’est publié qu’en 1955 à cause de la censure. Il s’agit de l’histoire d'un jeune médecin, Stefan Trzyniecki, qui, après l'obtention de son diplôme, trouve un emploi dans un hôpital psychiatrique. L'action se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale et l'occupation nazie. Le roman ressemble à un traité philosophique et moral, les aventures des héros étant combinées à une discussion sur des sujets philosophiques. En 1978, le roman est adapté en film.

C’est après le succès inattendu de “Astronauci” (“Astronautes”), le premier roman de science-fiction de Lem à être publié sous forme de livre en 1951, que l'écrivain décide de commencer à créer de la science-fiction pour de bon. D'une part, cela lui a donné l'occasion de réfléchir à la place de la technologie dans la vie humaine qui l'intéressait, et d'autre part, cela lui a permis d'éviter plus facilement la censure. L’histoire de ce roman se déroule dans un avenir utopique communiste. Pour le faire publier sous le régime communiste en Pologne, Lem a dû insérer de fréquentes références aux idéaux du communisme.

Dans les années 1960, Lem commence à écrire des œuvres de science-fiction comprenant des formes de réalisme. Il s'agit de romans tels que “Eden” (1959), “Powrót z gwiazd” (“Retour des étoiles”) (1961), “Solaris” (1961), “Niezwyciężony” (“L'Invincible”) (1964), “Głos Pana” (“La Voix du maître”) (1968), ainsi que ceux publiés dans divers recueils de nouvelles, qui ont finalement constitué le recueil “Opowieści o pilocie Pirxie” (“Les Aventures du pilote Pirx”) (1968).

Des sagas comme “Cyberiada” (“La Cybériade”) ou celles retraçant les aventures de Ijon Tichy sont caractérisées par une grande inventivité linguistique. Ils comprennent des néologismes techniques, des rimes et des noms grotesques pour les appareils du monde futur. L'univers de Cyberiada se déroule à une époque indéfinie et féerique avec des royaumes, des chevaliers, des princesses et même des dragons. Ijon Tichy est le héros de plusieurs nouvelles et romans (“Dzienniki gwiazdowe”, “Kongres futurologiczny”, “Wizja lokalna”, “Pokój na Ziemi”). Le dernier roman avec Ijon Tichy, “Pokój na Ziemi” (“Paix sur Terre”), est publié en 1987.

Avec le temps, le style d’écriture de Lem s'est orienté de plus en plus vers des essais et des considérations philosophiques. L'œuvre la plus importante de ce genre est certainement “Summa Technologiae” (1964).

A la fin de sa vie, les chroniques de l’écrivain publiées dans “Tygodnik Powszechny” et le mensuel “Odra” concernaient principalement le présent et l'avenir de la civilisation au sens large.   

Stanislaw Lem s’est consacré à la construction d'intrigues futuristes, avec pour contexte un espace-temps différent pour éviter les soupçons de censure. Mais contre toute attente, les technologies utilisées par ses héros ont été bien accueillies par les instances dirigeantes de l'époque, poussant même à l'industrialisation du pays.

L'enthousiasme de Lem pour le développement de la science et de la technologie s’est grandement atténué avec le temps. Il affirmait que l'intelligence artificielle nous conduirait à la dégénérescence par exemple. L’écrivain tremblait également à l'idée de la perte des ressources informationnelles et par la facilité de multiplier les données par des moyens électroniques.

La reconnaissance du progrès technologique, présente dans de nombreux livres de Lem, ne s'est pas traduite dans la pratique quotidienne. Fait intéressant, il n'a jamais appris à utiliser un ordinateur, restant fidèle à la machine à écrire jusqu'à la fin.

La liste des contradictions apparentes devrait également inclure l'attitude de Lem envers la religion. “La haute technologie n'exclut pas les croyances religieuses” - écrit-il dans “Fiasek” (“Fiasco”) (1987). Pourtant, dans une interview pour “The Missouri Review” (1984), il a soutenu : “Je suis athée pour des raisons morales. Je crois que l'on reconnaît le créateur à travers son travail. A mon avis, le monde est tellement mal construit que je préfère croire que personne ne l'a créé !”

Internet, smartphones, Google, ou encore le jeu des Sims ont été inventés par Stanislaw Lem. Optons, lectons, trions, phantomatons, vous ne connaissez peut-être pas ces mots, et pourtant, nous utilisons presque quotidiennement les objets qu'ils désignent. Lem a inventé beaucoup d'entre eux bien avant qu'ils ne fassent partie de notre réalité. Voici quelques-unes des prédictions les plus remarquables de Lem.

E-books et tablettes

Stanisław Lem est probablement le premier écrivain de science-fiction à prédire avec précision le déclin des livres papier et l'avènement des lecteurs de livres électroniques. Il en parle en 1961 dans le roman “Powrót z gwiazd” (“Retour des étoiles”), soit environ 40 ans avant les premières tentatives d'utilisation du papier électronique. Lem imaginait les e-books comme des cristaux sur lesquels était enregistré le contenu lu sur un appareil spécial, un “opton”. En 2021, la plupart d'entre nous l'appellent Kindle. 

Livres audio

Dans le même roman, Lem a également prédit la popularité des livres audio, bien qu'il ait préféré les appeler “lektony” (“lectons”) : “Le public préférait les lectons - ils lisaient à haute voix, ils pouvaient être réglés sur n'importe quel type de voix, de tempo et de modulation.”

Internet

Dès le début des années 50, Lem envisageait la possibilité de combiner des ordinateurs pour augmenter leurs capacités de traitement de données. Il présente cette idée dans “Dialogi” (“Les Dialogues”) de 1957 : “L'accumulation progressive de toutes les machines informatiques, des réseaux informatiques continentaux puis même planétaires seront créés”.

Lem a vécu jusqu'à ce que nombre de ses prédictions se réalisent, y compris Internet. Voici un commentaire célèbre concernant sa première utilisation d’Internet : “Avant d'utiliser Internet, je ne savais pas qu'il y avait autant d'idiots dans le monde.”

Google

À peu près à la même époque, Lem a également prédit un avenir dans lequel les humains auraient un accès immédiat et universel à une énorme base de données virtuelle qu'il a appelée la “bibliothèque Trion”. On peut lire dans “Obłok Magellana” (“Le nuage de Magellan”) de 1954 que les trions fonctionnent comme des clés USB modernes qui, combinées aux ondes radio, créaient une énorme base de connaissances. Ils peuvent stocker des cartes, images, graphiques ou tableaux mais aussi de la musique. Il existerait également une méthode d'enregistrement de parfum.

De nos jours, nous attendons toujours la possibilité d'enregistrer l'odeur.

Les smartphones

Dans ce même livre, Lem décrit une première version d'un smartphone, un petit téléviseur portable qui pouvait accéder instantanément aux données de la bibliothèque Trion : “Que ce soit dans notre studio australien, dans l'observatoire lunaire ou dans l'avion, en une seconde nous avons devant nous la bibliothèque Trion sur l'écran du téléviseur”.

Il convient de rappeler que ces idées ont surgi dans l'esprit de Lem à une époque où l'ordinateur ne rentrait que dans une très grande pièce.

L’impression en 3D

Toujours dans le même récit, l'écrivain a également présenté une vision de la production de biens, qui ressemble à la technologie d'impression 3D moderne : “Le trion peut contenir une prescription de fabrication. La machine qui y est connectée par radio réalise l'article requis et de cette manière, ceux qui veulent des meubles de style ancien ou les vêtements les plus insolites peuvent être satisfaits”.

Les Sims

Will Wright, le créateur de l'un des jeux les plus populaires au monde, “Les Sims”, a souvent mentionné le travail de Lem comme la principale inspiration de son jeu. Wright était fasciné par la saga “Cyberiada” (“La Cybériade”). Au cours de l'une de ses expéditions d'astéroïdes, Trurl, un des protagonistes de ce roman, rencontre un dictateur en exil. En guise de cadeau, Trurl construit pour lui une civilisation simulée sur laquelle un dictateur déchu pourrait régner. C'est ce mini-royaume qui aurait inspiré Wright pour concevoir un jeu dans lequel le joueur peut créer son propre monde.

Futurama

Le travail de l’écrivain a inspiré les créateurs de l'une des séries animées les plus populaires du début du 21e siècle. David Cohen explique d'où lui est venue l'idée de cette production : “Parmi les livres que nous avions à la maison se trouvaient des œuvres de Stanisław Lem (...), ces histoires étonnantes, surréalistes et drôles m'ont beaucoup inspiré, notamment avec l'idée qu'un robot pourrait devenir le héros d'un livre”.

La réalité virtuelle

La réalité virtuelle peut sembler être un autre grand succès en 2021. Mais Lem avait déjà écrit à ce sujet (en l'appelant “fantomatony”) de manière convaincante dès 1964. Dans "Summa Technologiae", Lem décrit une machine qui peut créer des réalités alternatives presque impossibles à distinguer de la réalité “réelle”. Cette machine brouillerait la frontière entre la réalité et la fiction, que Lem considérait comme une menace.

Matrix

Ce concept de réalité virtuelle développé par Lem est incroyablement proche du concept de simulation idéale que l'on connaît de la saga “Matrix” ou, plus récemment, de la série “Westworld”. La propre vision dystopique de Lem d'une grande simulation apparaît dans les pages de son roman “Kongres futurologiczny” (“Le Congrès de futurologie”).

La Biotechnologie

Lem a toujours été conscient des côtés sombres et menaçants de la technologie. Déjà dans les années 1960, il croyait que l'invasion de la technologie sur le corps humain n'était qu'une question de temps. Dans “Dzienniki Gwiazdowe” (“Les Voyages électriques d'Ijon Tichy”), le héros Ijon Tichy atterrit sur une planète appelée Dychtonia, dont les habitants sont si avancés technologiquement qu'ils transforment leur corps comme bon leur semble.

L'année 2021 a été déclarée Année Stanislaw Lem par le Parlement de la République de Pologne. Des dizaines d'événements et de projets artistiques attendent les passionnés de l'écrivain polonais dont les œuvres sont très souvent traduites en langues étrangères.

Les célébrations de Cracovie sont coordonnées par le Bureau des Festivals de Cracovie (KBF), une institution culturelle de la Ville de Cracovie.

Les projets internationaux sont organisés par l’Institut Adam Mickiewicz.

Sa directrice présente Stanislaw Lem comme “un écrivain mais aussi philosophe et futurologue, dont les œuvres atteignent des lecteurs du monde entier, et qui vaut encore la peine d’être découvert dans la nouvelle décennie du 21e siècle." Elle ajoute : “Observant les mutations sociales, culturelles ou économiques contemporaines, nous avons souvent l'impression que nous avons déjà lu à leur sujet dans les récits de Lem”.

Comment l'œuvre de Stanislaw Lem résonne-t-elle en Pologne en 2021 ?

Des événements prévus dans le cadre du programme de “Cracovie, ville UNESCO de Littérature” incluent, entre autres, l'école de lecture Lem, un panel sur Lem au Festival de la culture juive, des rencontres autour des œuvres de Lem au festival de littérature Conrad Festival et à l'événement de grande envergure promouvant la lecture - Read PL - au mois de novembre.

L’année de Stanislaw Lem sera également présente sur la plateforme Play Kraków - playkrakow.com. Vous pouvez déjà y regarder “Pokój” (“La Paix”) réalisé par Krzysztof Jankowski. Le film est basé sur l’histoire de “Podróż siódma” de la série “Dzienniki gwiazdowe” (“Les Voyages électriques d'Ijon Tichy”).

Lem est une icône de la culture polonaise avec une renommée internationale. La ville de Cracovie a donc annoncé des événements internationaux, y compris une coopération avec l'Institut culturel polonais de Lviv et le Forum des éditeurs à Lviv.

Les célébrations du centenaire de Lem ne peuvent se dérouler sans livres. Wydawnictwo Literackie à Cracovie, l'éditeur de la prose de Lem depuis des années, prépare de nouvelles éditions qui seront d'un grand intérêt pour le public. Suite à la parution de “Summa Technologiae” fin 2020, l'Année de Lem verra d'autres reprises de livres du maître polonais de science-fiction, comme “Bajki robotów” (“Fables pour robots”). Des travaux sont également en cours sur deux livres biographiques sur l'écrivain, préparés par d'éminents experts sur la vie et œuvres de Stanisław Lem, Agnieszka Gajewska et Wojciech Orliński.